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Thursday, September 21, 2017

sur les chemins noirs

"Un  rêve m'obsédait. J'imaginais la naissance d'un mouvement baptisé confrérie des chemins noirs. Non contents de tracer un réseau de traverse, les chemins noirs pouvaient aussi définir les cheminements mentaux que nous emprunterions pour nous soustraire à l'époque. Dessinés sur la carte et serpentant au sol, ils se prolongeraient ainsi en nous même, composeraient une cartographie mentale de l'esquive. Il ne s'agirait pas de mépriser le monde ni  de manifester l'outrecuidance de le changer. Non!I l suffirait de ne rien avoir de commun avec lui. L'évitement me paraissait le mariage de la force avec l'élégance. .Orchestrer le repli me semblait une urgence. Les règles de cette dissimulation existentielle se réduisaient à de menus impératifs: ne pas tressaillir aux soubresauts de l'actualité, réserver ses colères, choisir ses levés d'armes, ses goûts, ses écoeurements, demeurer entre les murs de livres, les haies forestières, les tables d'amis, se souvenir des morts chéris, s'entourer des siens, prêter secours aux êtres dont on avait connu le visage et pas uniquement avoir étudié l'existence statistique. En somme se détourner. Mieux encore! Disparaître !"Dissimule ta vie" disait  Epicure(...) Il avait donné là une devise pour les chemins noirs.
Nous serions de grandes troupes sur ses contre-allées car nous étions nombreux à développer une allergie aux illusions virtuelles. Les sommations de l'époque nous fatiguaient: Enjoy ! Take care ! Be  safe !Be connected !Nous étions dégoûtés du clignotement des villes. Si nous écrasions à coups de talon les écrans livides de nos vies high-tech s'ouvrirait un chemin noir, une lueur de tunnel à travers le dispositif. Tout cela ne faisait pas un programme politique; C'était un carton d'invitation à ficher le camp".(...)Sylvain Tesson in "sur les chemins noirs"p35